dimanche 29 juin 2025

Cultures de rentes vs cultures vivrières : Quelle orientation pour les pays Africains ?

 

Selon un rapport de la Banque africaine d’exportation et d’importation, les pays Africains dépensent en moyenne 50 milliards de dollar chaque année pour l’importation de la nourriture. Paradoxalement les produits agricoles font également parti des produits les plus exportés par les pays africains. Cette situation contradictoire provient des politiques agricoles des pays africains, orientant souvent les choix de cultures agricoles vers les cultures de rente au détriment des cultures vivrières.

La culture de rente désigne une pratique agricole visant à générer des profits à partir de la vente de produits cultivés, plutôt que la consommation personnelle. Elle se distingue de la culture vivrière qui est destinée à l’autoconsommation. Les principales cultures de rente en Afrique sont le café, le thé, le cacao, le tabac et le coton. Les cultures vivrières elles, couvrent un large éventail de légumes, tubercules, céréales et fruits consommés à travers le continent.

Un clivage hérité de la colonisation


L'opposition entre cultures de rente et cultures vivrières en Afrique trouve en grande partie ses racines dans l’histoire coloniale du continent. Avant l’arrivée des puissances coloniales, les systèmes agricoles africains étaient largement orientés vers la subsistance locale, avec des pratiques agricoles diversifiées, adaptées aux conditions écologiques et sociales des différentes régions. Les communautés produisaient ce qu’elles consommaient, échangeaient localement, et les surplus étaient stockés ou redistribués selon des logiques sociales, souvent solidaires.

Les cultures de rente ont été introduit en Afrique par les puissances coloniales aux 19e et 20e siècles. L’introduction forcée des cultures telles que le coton, le café ou le cacao avaient pour but d’approvisionner les métropoles Européennes et notamment leurs industries en produits tropicaux. Ce processus a impliqué la transformation des paysans africains d’une agriculture de subsistance à une agriculture commerciale intégrant de nouvelles cultures et de plus grands espaces de production.

Cette spécialisation forcée répondait à une logique strictement coloniale : faire des colonies des réservoirs de matières premières bon marché, en maintenant les populations rurales dans une position de dépendance économique. Les infrastructures agricoles (routes, chemins de fer, entrepôts) étaient d’ailleurs pensées pour relier les zones de production aux ports d’exportation, sans souci de développement intérieur. En parallèle, les cultures vivrières furent délaissées, voire dévalorisées, n’ayant pas de "valeur" dans les circuits commerciaux coloniaux. Cette politique de spécialisation a eu des conséquences durables : elle a déséquilibré les systèmes agricoles, réduit la diversité alimentaire, fragilisé la sécurité alimentaire locale et introduit une dépendance des paysans aux revenus plutôt qu’à l’autoconsommation.

Enjeux contemporains : entre sécurité alimentaire et revenus agricoles



Les cultures vivrières jouent un rôle central dans l’alimentation des populations africaines, tant rurales qu’urbaines. Manioc, mil, sorgho, maïs, igname, riz local ou encore légumes traditionnels constituent la base de l’alimentation dans de nombreux pays du continent. Leur production, en grande partie assurée par de petites exploitations familiales, est indispensable pour assurer une souveraineté alimentaire durable.

Pourtant, ces cultures souffrent d’un manque criant de reconnaissance dans les politiques agricoles nationales. Le soutien technique, les infrastructures de transformation ou de stockage, les crédits agricoles, ainsi que la recherche agronomique, sont largement orientés vers les filières d’exportation. Les producteurs vivriers restent ainsi confrontés à des rendements faibles, à une forte exposition aux aléas climatiques, et à des difficultés d’accès aux marchés urbains. Ce désintérêt politique fragilise la sécurité alimentaire, obligeant certains pays à importer massivement des denrées de base malgré leur potentiel agricole.

À l’opposé, les cultures de rente occupent une place stratégique dans les économies africaines. Le coton, le cacao, le café, l’hévéa ou encore l’anacarde génèrent d’importantes recettes d’exportation, des emplois agricoles et non agricoles, et constituent des sources de devises essentielles pour les États. Elles permettent également à certains producteurs d’améliorer leurs revenus, notamment lorsqu’ils sont intégrés à des chaînes de valeur organisées.

Cependant, cette dépendance à l’exportation comporte de nombreux risques. Les prix des matières premières agricoles sont volatils et fixés sur les marchés internationaux, exposant les producteurs aux chocs externes sans filet de sécurité. En outre, les cultures de rente, souvent pratiquées en monoculture, contribuent à la dégradation des sols, à la déforestation, et parfois à la raréfaction des terres disponibles pour l’agriculture vivrière. Dans certaines régions, l’extension des cultures de rente s’est accompagnée d’un accaparement de terres, souvent au détriment des communautés locales.

Quelle implication pour les politiques agricoles ?

Face à ces tensions et déséquilibres, il est urgent de repenser les politiques agricoles africaines pour dépasser l’opposition entre cultures de rente et cultures vivrières. Il ne s’agit pas d’abandonner l’une au profit de l’autre, mais de construire des modèles de coexistence intelligents et durables.

Des stratégies hybrides existent : certaines exploitations combinent des cultures de rente à haute valeur ajoutée avec des cultures vivrières destinées à l’autoconsommation ou à la vente locale. Ce modèle d’agriculture diversifiée permet d’assurer une sécurité alimentaire minimale tout en profitant des opportunités économiques liées à l’exportation.

Cela nécessite néanmoins un accompagnement structuré des populations rurales : accès à l’information, formation, appui-conseil, et dispositifs de planification agricole. Les États doivent jouer un rôle actif en mettant en place des politiques de financement ciblé, notamment à travers des subventions aux intrants vivriers, des infrastructures adaptées (routes rurales, marchés de gros, unités de transformation locale), et un accès facilité au crédit agricole.

Enfin, il est fondamental de revaloriser les cultures vivrières. Cela passe par leur intégration dans les circuits de transformation locale, le développement de labels de qualité, et la structuration de chaînes de valeur locales et régionales. L’agriculture vivrière ne doit plus être perçue comme un simple moyen de survie, mais comme une composante essentielle de la modernisation agricole en Afrique.

 


L'opposition entre cultures de rente et cultures vivrières en Afrique n’est pas simplement une réalité agricole ou économique : elle est le reflet d’une histoire, d’une structure de dépendance, et de choix politiques qui continuent d’influencer la trajectoire des systèmes alimentaires africains. Alors que les cultures de rente demeurent des leviers importants pour l’exportation et les recettes publiques, les cultures vivrières, elles, sont le socle de la sécurité alimentaire et de la stabilité sociale du continent.

Réconcilier cultures de rente et cultures vivrières, c’est refuser le dilemme imposé entre nourrir les marchés mondiaux ou nourrir sa propre population. C’est aussi poser les bases d’une agriculture africaine souveraine, résiliente et durable, capable de répondre aux défis du 21e siècle.


Par Alima Vincent

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